1. La chaux aérienne, une présence dès l’origine de l’acte de bâtir
L’utilisation de la chaux depuis la plus Haute Antiquité a laissé de nombreux ouvrages dont on peut encore admirer et apprécier l’étonnante durabilité. De nombreuses analyses ont été entreprises sur divers ouvrages en Mésopotamie, Égypte, Grèce et plus régulièrement dans tous les pays composant l’Empire Romain. Toutes ces recherches aboutissent à démontrer le savoir-faire des bâtisseurs de ces ouvrages, savoir-faire qui repose très souvent sur des recettes de mortiers ou de bétons réalisés à base de chaux aérienne, d’agrégats divers et de nombreux et divers ajouts, blanc d’œuf, sang d’animaux, végétaux, pigments minéraux, terres colorantes, pouzzolanes…
2. Quels étaient les ingrédients utilisés avec la chaux aérienne ?
Ces ajouts se trouvent sous différentes formes mais de manière générale, assez constante dans la volonté de mettre en place des fonctionnalités particulières : par exemple l’accélération de la prise et ce dans des régions très éloignées les unes des autres (pouzzolane en Italie, Trass en Bavière, oxyde de fer en Ecosse etc.).
Les exemples les plus représentatifs de ces savoirs nous ont été laissés par les constructeurs Romains. En effet,
- le Panthéon de Rome est coiffé par une coupole monumentale en béton de chaux, coulée en place, d’un seul tenant de plusieurs centaines de mètres cubes.
- De même, en 70 et 80 de notre ère, les romains ont édifié un cirque gigantesque de plus de 50 000 places, le Colisée où l’on peut observer des gradins coulés en béton de chaux « retaillable » de plusieurs mètres d’épaisseur dans lequel sont incorporés des blocs et des sables pouzzolaniques provenant de laves volcaniques afin d’en accélérer le durcissement.
- Un très grand nombre d’ouvrages hydrauliques ont été réalisés en utilisant des mortiers spécialement formulés pour résister au passage de l’eau et à son abrasion (cuves, aqueducs, retenues d’eau et quais en eaux vives).
On trouve chez Vitruve un véritable inventaire des adjuvants utilisés : colloïdes minéraux et végétaux, agents surfactants, épaississants, hydrofuges, entraineurs d’air etc, sous forme de jus de figues, blanc d’œuf, sans de bœuf, algues, sels, suifs…
3. La préparation des chaux aériennes au XVIII et XIXème s.
Au XVIIIème et début du XIXème, l’architecture militaire est en permanente recherche d’amélioration de fonctionnalités des mortiers et bétons en matière de résistance mécanique et de prise. Valentin BISTON (1836), dans son manuel du chaufournier nous renseigne sur l’inventivité permanente des formulateurs de l’époque (plus de 150 recettes).
Dans la deuxième moitié du XIXème et jusqu’en 1930, les « ouvriers cimentiers » bâtardent la chaux aérienne en gardant jalousement leurs secrets, à l’aide des premiers « ciments aux grappiers » afin de réaliser des ciments-pierre qui ornementent toujours nos belles façades Haussmanniennes.
4. Le tournant des années 50
Dans les années 1950, en Allemagne puis en France, les premiers producteurs de chaux formulées mettent sur le marché des chaux colorées et hydrophobées destinées à réaliser des enduits et des finitions décoratives. Ces matériaux sont présents au DTU 26.1 de 1977.
Au milieu du XXème siècle, la grande majorité des formulateurs et constructeurs ont privilégié la rapidité d’obtention des résistances mécaniques apportées par les nouveaux liants hydrauliques en négligeant les qualités fondamentales de la chaux aérienne, ce qui a été très préjudiciable pour la durabilité des ouvrages et notamment pour les travaux de réhabilitation du bâti ancien.
5. L’avènement des chaux formulées à partir de la chaux aérienne
Le développement des chaux formulées représente un retour aux principes anciens de la formulation, ce sur plusieurs plans.
Le premier point concerne le principe de la formulation à base de chaux aérienne afin d’en conserver les qualités intrinsèques telles que la perméance, l’adhérence ou la capacité d’autoprotection et de pallier les lacunes que présente ce matériaux, notamment la faible résistance mécanique aux âges jeunes et la mauvaise résistance au gel, afin de s’adapter aux méthodes modernes de construction.
Dans ce sens, la première garantie consiste à formuler avec de fortes teneurs en chaux aérienne. Bien entendu, ces valeurs varient en fonction des applications. La teneur en chaux peut varier de 40 à plus de 80% en volume. Notons que ce point a été oublié pendant de trop nombreuses années au regard des produits tels que les chaux hydraulique (HL) ou les ciments à maçonner (CM) dont les teneurs en chaux peuvent, tout en restant dans la norme être ridiculement faibles, de l’ordre de 3 à 5 %.
6. Les critères de formulation de la chaux aérienne
D’autre part, le choix de la formulation de ces chaux aériennes s’est naturellement orienté vers l’utilisation de matériaux modernes normalisés tels que les ciments, les clinkers, les pouzzolanes ou les chaux hydrauliques naturelles. C’est là que le savoir-faire du formulateur intervient. En effet la formulation doit permettre de garantir les caractéristiques pour lesquelles la chaux aérienne a été choisie depuis si longtemps. Il est donc, à ce stade, impératif de bien choisir ses matières premières.
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La chaux aérienne doit être la plus constante possible au niveau de ses caractéristiques importantes pour les applications Bâtiment, à savoir :
La densité
La granulométrie
La blancheur
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De même, les ciments et autres liants hydrauliques doivent répondre à certains critères très précis sur le plan de leur composition et de leur constance. De nombreux essais de validation sont alors nécessaires.
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De plus, il est important de bien veiller à ce que la présence de liant hydraulique au sein de la formulation ne nuise pas aux qualités intrinsèques de la chaux aérienne. Il est bien connu des utilisateurs que le « bâtardage » de la chaux aérienne implique très rapidement la perte des fonctionnalités de celle-ci, même à de faibles teneurs en liant hydraulique. Pour cela le formulateur doit s’inspirer des recettes utilisées autrefois en incluant des additifs tels que accélérateurs de carbonatation, agents mouillants, d’hydrophobation, colloïdes minéraux ou végétaux.
7. Une reconnaissance de la valeur des chaux formulées par la norme européenne des chaux de construction
Ce savoir-faire de formulation connu de nos anciens n’était pas repris par les standards tels que les normes ou les DTU. Les secrets de fabrication ne faisaient pas partie des recettes de normalisation. La seule sauvegarde indiquée dans les normes étant l’utilisation restrictive de ciments de type CEM I ou CEM II. Ce qui peut apparaître insuffisant.
Désormais, Les chaux formulées sont reconnues par la nouvelle norme européenne NF EN 459 des chaux de construction, qui est, depuis 2012, le document de classification des chaux du domaine bâti. La part belle est attribuée à la chaux aérienne qui est reconnue comme le matériau de référence de cette catégorie.

8. La chaux aérienne formulée, un moyen de réduire l’impact environnemental
L’autre aspect positif généré par la conception de ces chaux aériennes formulées concerne l’utilisation de matières premières locales. En effet, la plus grande partie d’un mortier est constituée par le sable (environ 80 % du poids). L’utilisation de chaux formulées permet, à contrario des mortiers prêts à l’emploi, l’utilisation des sables locaux, ce qui permet, d’une part de conserver le l’aspect original des mortiers et d’autre part d’améliorer de façon notable l’écologie du produit fini. En effet, le sable n’est pas séché pour être remouillé ensuite ni transporté plusieurs fois sur de très longues distances.
En conclusion, il faut considérer les chaux formulées comme des matériaux à caractères patrimoniaux pour leur mode d’élaboration qui doit respecter les caractéristiques intrinsèques de la chaux aérienne, qui ont valu à la chaux aérienne d’être le matériau de construction par excellence pendant des millénaires.